Catégorie
43 : Un livre dont l'histoire contient un élément surnaturel
*
Pierre Taillandier
est
un soldat gravement mutilé durant
la Première Guerre mondiale. Après avoir été relégué dans un
hôpital militaire à Berck,
il découvre qu'il a acquis un pouvoir extraordinaire : celui de
s'emparer du corps d'autrui. Ce don – des
voyages extracorporels - qu'il
utilise pour retrouver une forme de liberté, l'entraîne dans une
quête complexe à travers des périodes sombres de l'Histoire.
L'histoire
explore des dimensions fantastiques et mystérieuses, mais elle ne
repose pas sur le concept classique de déplacement temporel ;
elle
nous
plonge dans un univers mystérieux où des phénomènes inexplicables
jouent un rôle clé dans l'intrigue. Ces aspects surnaturels
enrichissent le récit en ajoutant une dimension intrigante.
*
Le
pouvoir de Pierre de s'approprier les corps d'autrui questionne ;
au
début du récit, le livre m’a dérangée et puis j’ai vite été
happée
par le désir d’en savoir plus ; certes le don de Pierre est
extraordinaire, mais il est surtout une réalité à laquelle il doit
s’adapter. Que va t-il faire cette
« aptitude »….
Car
« en se libérant de son corps, il avait, en quelque sorte,
conquis une hauteur de vue lui permettant de distinguer plus
clairement la Morale de la moralité, la Justice de la loi. »
Son
pouvoir soulève des dilemmes éthiques complexes : jusqu'où peut-on
aller pour garantir sa survie ou accomplir ses objectifs ? Et
quels objectifs, d’ailleurs ?
On
peut très bien lire ce roman en se penchant uniquement sur ses
« voyages »
et n’y voir qu’un relaxant moment de détente, avec
des éléments
fantastiques et mystérieux ; ou bien on s’interroge….
Pierre
recherche un but et une compréhension de sa place dans un monde
bouleversé. En tant que soldat mutilé de
14-18,
il
incarne les cicatrices physiques et émotionnelles laissées par le
conflit. Son pouvoir, né de cet événement tragique, devient une
métaphore de la manière dont les individus cherchent à
reconstruire leur vie après des bouleversements historiques.
Parlerait-on
d’une forme de résilience ?….
« Déchiqueté
par les abeilles tueuses, il avait cru, très naïvement et très
égoïstement que l’Univers était son débiteur éternel pour son
corps et sa jeunesse. (…) Il avait pu mesurer l’immense précarité
de tout ce que l’on croit acquis. »
Par
ses expériences, Pierre sonde les corps, des corps
souvent traumatisés,
mesurant ainsi la diversité
des trajectoires humaines face à la brutalité historique. Son
pouvoir surnaturel l’amène à rencontrer des personnages
en
proie aux
dilemmes moraux et aux
choix difficiles auxquels ils sont confrontés.
« Le choix
s’est révélé plus difficile que je ne l’avais pensé. Où
placer la limite entre la bassesse ordinaire et le mal incarné ?
Entre la simple et frustre brutalité de l’homme sans éducation et
la fraude cruauté du pervers ? Et les circonstances? Le
parcours de chacun ? Constituent-ils des excuses ou seulement
des explications ? Quelle part de libre arbitre dans un acte et
quelle part de déterminisme ?
Il est bien aisé
de juger Pierre, Paul ou Jacques à l’emporte-pièce, à l’issue
d’un repas bien arrosé, quand on sait que la seule sanction se
limitera, pour celui-ci, à avoir eu les oreilles qui sifflent
pendant quelques instants. Mais quand le juge devient bourreau et
qu’il a le pouvoir, par la seule force de son esprit, d’infliger
la mort sous les formes les plus extravagantes, humiliantes et
ridicules, le verdict, alors, devient bien délicat à prononcer. »
Voici donc un livre
bien intéressant à plus des égards ; ce n’est pas un livre
de science-fiction, mais il est un « miroir » qui
amplifie les luttes internes des personnages du roman.
La vie est souvent
absurde, mais elle vaut la peine d’être vécue – clin d’oeil à
la citation d’A. Malraux – d’être vécue éternellement… et
pour quoi en faire ?
Je vous invite à
lire ce merveilleux roman, empreint d’une noirceur certaine et d’un
ton souvent décalé, mais à l’intrigue surprenante...